Itinéraire d'un salaud ordinaire by Didier Daeninckx

Itinéraire d'un salaud ordinaire by Didier Daeninckx

Auteur:Didier Daeninckx [Daeninckx, Didier]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2070779888
Éditeur: Gallimard
Publié: 2006-05-11T00:00:00+00:00


CHAPITRE 5

L’année qui suivit fut marquée par une discrète promotion interne de Duprest, un avancement matérialisé non par un grade ou une augmentation de traitement, mais par son accès limité aux dossiers « Confido » de la 1re Section que le commissaire principal gardait très précieusement dans un coffre scellé au bas d’un mur de son bureau. La hiérarchie le considérait comme digne de confiance, et c’était comme un adoubement. Des milliers de bruits invérifiables couraient au sujet des fiches annotées quotidiennement à partir des confidences, des indiscrétions, des dénonciations, des interceptions de courrier, des écoutes et des filatures. Plus de la moitié du gouvernement du général de Gaulle y figurait, prétendait-on, André Malraux, ancien prix Goncourt et actuel ministre de l’Information en tête. On pouvait à l’occasion lui rappeler quelques trafics d’œuvres d’art ainsi que des libertés prises avec la vérité dans la rédaction de ses romans les plus célèbres. D'autres voyaient leur nom calligraphié sur le rose pâle d’une chemise souple pour autre chose que des peccadilles. On y consignait, paraît-il, les preuves des penchants pour l’extrême jeunesse d’une sommité socialiste promise aux plus hautes fonctions. La liste du personnel politique et ecclésiastique inverti était scrupuleusement mise à jour, ainsi que le compte exact des fruits adultérins des multiples passades parisiennes des députés et sénateurs. Les journalistes avaient droit aux mêmes égards, ce qui facilitait grandement les relations du service avec la presse.

Les choses s’étaient déroulées dans le non-dit, comme toujours. Le commissaire principal l’avait convoqué un matin pour lui remettre une invitation à une première théâtrale valable pour deux personnes. Cela lui permettrait, lui avait-il confié, d’approcher l’auteur de la pièce sur qui il était temps de recueillir quelques indiscrétions au cas où ses dispositions pour la polémique le conduiraient à embrasser une carrière politique. Duprest consacra une partie de la semaine à collationner les divers renseignements sur la cible déjà disponibles dans les différents services, procéda à une copieuse revue de presse, passa plusieurs coups de fil à des correspondants, obtint les révélations d’un des indicateurs portés sur la liste de Traverse. Cela le surprenait toujours autant, et c’était un bonheur, de voir se dessiner une personnalité à partir de tous ces éléments épars, de constater que la juxtaposition de ces multiples regards donnait naissance à une réalité palpable. Il savait déjà à quoi s’en tenir sur l’individu quand Liliane l’avait accompagné au théâtre Antoine, un soir neigeux de novembre 1946, enveloppée dans un manteau de fourrure loué pour l’occasion dans une boutique du quartier de l’Opéra. Elle se faisait une joie d’assister à ce que la presse annonçait comme un scandale mondain. Ils étaient ressortis consternés, abasourdis, incapables de résumer l’argument de Morts sans sépulture, la pièce qui s’était jouée devant leurs yeux, avec l’impression d’avoir vu des personnages sans consistance ni envergure humaine, des pantins, s’agiter sur un plateau. Après avoir pris soin de ramasser tout ce qui pouvait l’être, prospectus, présentation de l’auteur et des comédiens, du metteur en scène, de noter les



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